Critique – Rouge ou mort – David Peace

Rouge ou mort, you’ll never walk alone!

Rouge ou mort est un des rares romans contemporains à prendre le football comme toile de fond de son récit. Le monde du roman aurait-il à rougir de honte à évoquer ce sport, passion de millions de gens à travers le Monde? Toujours est-il que Davis Peace tente le pari avec Rouge ou mort en racontant le passage de Bill Shankly qui fut pendant quinze ans l’emblématique entraîneur d’un club lui-même emblématique : le Liverpool football club, plus connu sous le nom des Reds. Alors pari tenu?

Rouge ou mort, les années Shankly chez les Reds

Bill Shankly arrive chez les Reds en 1959. Il en repartira en 1974, quinze ans plus tard avec un palmarès digne des plus grands. Rouge ou mort retrace avec précision les étapes qui vont conduire Liverpool de la deuxième division à la première puis les victoires en championnat et en coupe d’Angleterre. Pour nous faire pénétrer dans la vie de cet entraîneur particulier, Rouge ou mort utilise un style particulier, faits d’expressions ou de mots répétés à l’envi, un style obsessionnel (hypnotique ont dit certains) qui colle parfaitement à la passion et à la répétition qui habitent ce métier.

Le samedi 28 septembre 1963, l’Everton football club vient à Anfield, Liverpool. Cet après-midi là, 51973 spectateurs viennent aussi. Tous les billets sont vendus depuis plusieurs semaines, les grilles sont fermées depuis des heures. Avant le coup d’envoi. Bill Shankly longe le couloir. Bill Shankly ouvre la porte du vestiaire. Bill Shankly entre dans le vestiaire. Le vestiaire de l’équipe qui reçoit. Bill Shankly ôte son chapeau. Bill Shankly suspend son chapeau derrière la porte. Et le regard de Bill Shankly fait le tour du vestiaire. Il passe d’un joueur à l’autre. De Lawrence à Byrne, de Byrne à Ferns, de Ferns à Milne, de Milne à Yeats, de Yeats à Stevenson, de Stevenson à Callaghan, de Callaghan à Hunt, de Hunt à St John, de St John à Melia et de Melia à Thompson. Et Bill Shankly sourit. Bill Shanly sort un un bout de papier de la poche de sa veste. Bil Shankly punaise le bout de papier au mur du vestiaire. Du vestiaire de l’équipe qui reçoit. (Rouge ou mort p.144)

Cette phrase lancinante correspond tout à fait à ce que souhaite décrire Peace dans Rouge ou mort, le travail obsessionnel de Shankly pour son club, pour sa ville, pour ses supporters. Le football rougeoie partout. Même chez lui, quand il se lève la nuit et représente la disposition tactique de ses joueurs avec des cuillers pour les défenseurs, des fourchettes pour les milieux et des couteaux pour les attaquants. Il rougeoie encore quand il s’adresse à ses supporters qui viennent les accueillir en héros après une finale de Cup perdue contre Leeds.

Et les gens, les 250000 personnes, les 500000 personnes qui l’acclament et l’applaudissent, et toutes crient et scandent Li-ver-pool, Li-ver-pool…Et Bill refoule ses larmes. Bill a du mal à respirer. Et de nouveau Bill ouvre les bras. Et de nouveau les gens, ces 250000 personnes, ces 500000 personnes se taisent toutes. Et Bill ajoute, Depuis que je suis à Liverpool. Et à Anfield. Je n’arrête pas de répéter à mes joueurs. A longueur de temps. Qu’ils sont privilégiés. Ils ont le privilège de jouer pour vous. Et s’ils ne m’ont pas cru sur le moment. Aujourd’hui ils me croient. (Rouge ou mort, p.395-396)

Rouge ou mortRouge ou mort, les années Shankly après les Reds

Mais Rouge ou mort n’est pas que le catalogue précis d’une aventure sportive exceptionnelle. Il gagne en puissance et en profondeur en décrivant l’arrière-plan de cette épopée. Les Reds sont un club éminemment populaire dont les supporters rassemblés dans le Spion Kop appartiennent à la classe ouvrière. Et lorsque Shankly décide de quitter son poste d’entraîneur en 1973, pour consacrer plus de temps à Ness, sa femme avec qui il partage une tendre complicité, c’est aussi le début d’un changement social profond que Peace va instiller dans le roman, toujours à travers la personnalité de Bill Shankly, lui-même mineur dans sa jeunesse, et qui garde une profonde affection pour ce peuple ouvrier, travailleur et amoureux du Liverpool football club. Shankly partage d’ailleurs l’amitié d’Harold Wilson, premier ministre travailliste, issu d’Huddersfield, un club que Shankly a entraîné avant de venir chez les Reds. Le départ de Shankly, c’est aussi la mort d’un certain monde.

Ce jeudi 3 mai 1979, 13 697 923 électeurs votent pour le parti conservateur. Ce jour-là, 11 532 218 votent pour le parti travailliste…Cette nuit-là, Margaret Thatcher, membre de la  Chambre des Communes représentant la circonscription de Finchley, à Londres, née Grantham et supportrice d’aucun club sportif, devient Premier Ministre du Royaume-Uni. (Rouge ou mort, p.737)

Bill le regrette. Bill espère. Bill ne peut qu’espérer. Bill sent que la folie des transferts qui se négocient désormais dépasse la raison. Bill espère. Rouge ou mort avec lui. Rouge ou mort le sait, c’est la disparition du foot ouvrier. Rouge ou mort le montre, Rouge ou mort l’écrit.

C’est de la folie. Ce n’est pas normal, ça ne peut pas être normal. Et il y a des managers que ça ne semble pas déranger de payer des sommes pareilles. Mais le travailleur qui paie sa place pour voir les matchs, il doit en être malade, de cette flambée des prix. Il paye de sa poche, lui aussi, et de plus en plus cher. Et c’est son argent. Son argent qu’on dilapide. (Rouge ou mort, p.739)

La dernière partie de Rouge ou mort est particulièrement touchante car on voit cet homme recevoir des jeunes gens chez lui, leur offrir un goûter ainsi qu’une photo dédicacée, visiter des enfants malades et leur redonner courage, croire toujours en ce mot écrit en lettres rouges dans son cœur : la solidarité.

Le Liverpool football club ne se repose pas sur un seul homme. Sur aucun joueur individuel. Le Liverpool football club compte sur tous les joueurs ! Le Liverpool football club, c’est une équipe dont les joueurs comptent tous les uns sur les autres. Et quand vous avez réuni des hommes qui font ça correctement, alors vous avez les joueurs qu’il vous faut. Bien entraînés, bien préparés. Alors ils ne peuvent pas être battus. Et par conséquent, Arsenal ne pourrait pas les battre. Même en les affrontant pendant les dix prochaines années bon sang. Parce que les joueurs de Liverpool comptent tous les uns sur les autres. C’est un collectif. Chacun travaille pour tous les autres. C’est une forme de socialisme. De socialisme à l’état pur. Chacun faisant tout ce qu’il peut pour le reste. (Rouge ou mort, p.740)

Tout est dit ! Rouge ou mort est une belle réussite dont la première partie, très répétitive, pourra décourager les non-initiés, mais courage car il prône de belles valeurs collectives qui font plaisir à lire!

Un autre article sur Rouge ou mort : http://www.lefigaro.fr/livres/2014/09/04/03005-20140904ARTFIG00036–rouge-ou-mort-de-david-peace-droit-au-but.php

Critique - Rouge ou mort - David Peace
Rouge ou mort retrace la carrière de Bill Shankly, l'entraîneur emblématique de Liverpool, qui partageait de belles valeurs de solidarité avec ses joueurs.
Style
Personnages
Histoire
On aime bien
  • L'atmosphère des vestiaires
  • La passion de Shankly
  • Le style particulièrement bien adapté de D. Peace
On aime moins
  • Le possible effet de lassitude face à l'aspect répétitif du style
4.0La note
Note des lecteurs: (1 Vote)
    • / Camille LATOUCHE

      Après Looking for Eric c’est au tour de Liverpool d’avoir son heure de gloire. Quel grand club quand y pense. Mieux que les baby Gunners qui ne battent pas Monaco …

      • / @AimeCinema

        Quelle passion autour de ce club ! La critique de Frederic m’apprend l’existence de ce livre, à lire pendant les vacances.