Envoyée spéciale de Jean Echenoz : un jubilatoire roman d’espionnage.
Après plusieurs romans sérieux qui ne m’avaient guère séduit (Ravel, Courir, 14), Jean Echenoz retrouve avec Envoyée spéciale la veine comique qui faisait la beauté de ses premiers romans ( L’équipée malaise, Nous trois, Les grandes blondes). Car nous voila embarqués dans une histoire d’espionnage qui va nous conduire de la Creuse à la Corée du Nord accompagnés par toute une série de personnages aussi burlesques et manipulés les uns que les autres dans un récit foisonnant et comique où l’on rit souvent aux aventures cocasses et pleine de rebondissements de cette bande de Pieds Nickelés. Un grand souffle de légèreté et de drôlerie dans un roman. Cela est plutôt rare et franchement très savoureux !
Rififi à Pyongyang
Rien ne prédisposait Constance Coste à entamer une carrière d’espionne au service du contre-espionnage français. Seul fait remarquable dans sa biographie : elle avait été l’éphémère interprète d’un tube lui aussi éphémère composé par son compagnon Louis Tausk qui, de même, était retombé dans un anonymat complet. C’est pourtant ce qui a germé dans le cerveau calculateur du général Bourgeot, spécialisé dans l’infiltration et l’exfiltration de personnalités sensibles dans un but de renseignement. La mise en œuvre de ce plan diabolique incombe à son adjoint Objat qui va enlever Constance pour la mettre au vert au cœur du bucolique département de la Creuse. Là, Christian et Jean-Pierre, deux sous-fifres aux qualités douteuses, seront aux petits soins pour la jeune femme. Tout semble aller comme sur des roulettes mais bien évidemment les choses vont se gâter pour le plus grand plaisir des lecteurs. Voilà posée l’ambiance de ce roman jubilatoire dans lequel Jean Echenoz parvient avec beaucoup de brio à nous tenir en haleine, nous faire rire et nous enthousiasmer par ses qualités littéraires et sa construction fort habile digne des romans de genre avec toujours ce léger décalage qui fait toute la force d’Envoyée spéciale.
Une construction et un style savoureux
Envoyée spéciale combine à merveille plusieurs qualités littéraires pour épater et transporter le lecteur. L’enchevêtrement des histoires nous font découvrir les multiples personnages tous impliqués à des degrés divers dans l’intrigue romanesque. Un exemple marquant est celle du chanteur avec ses maîtresses, toutes piquées à son beau-frère, un notaire véreux au claudiquant qui cache son jeu. Celle-ci captive d’autant plus le lecteur que parfois des collusions inopinées entre certains de ces personnages procurent un avantage à ce dernier qui connaît le lien qu’ils ont entre eux. A cette fort habile construction, Envoyée spéciale ajoute un effet narratif redoutable qu’on pourrait qualifier d’un terme moderne : la narration participative. Parfois, Jean Echenoz inclut le narrateur dans l’action soit par un « vous »…
Une fois le téléphone raccroché vous n’avez pas souhaité vous en servir encore, contacter d’anciens amis, d’anciens amants qui auraient pu vous distraire, non. Votre dernier sourire avant un bon moment a été en souvenir de Jean-Pierre et Christian, puis vous avez eu faim. Mais cessez de vous prendre pour Constance qui a dû, par conséquent, sortir pour aller s’acheter de quoi manger.Envoyée spéciale, p.188
soit par un « nous » et/ou un « on ».
Gang, d’abord, s’est jeté sur elle, ce qui nous a déjà pris un bon moment. Puis une fois qu’on a repris son souffle, il a proposé d’aller faire un tour en boîte.Envoyée spéciale, p.239
Bref, je ne saurais trop vous conseiller la lecture d’Envoyée spéciale qui constitue un objet rare dans la littérature française contemporaine : une parodie du roman d’espionnage avec une construction diabolique sans aucune thèse ou aucun ego à faire valoir si ce n’est le plaisir de raconter, et de raconter magistralement bien, et pour le lecteur de se laisser prendre par le récit et de retrouver des sensations agréables de légèreté et de jubilation. Un très beau roman!!!
Un autre avis sur Envoyée spéciale : http://www.telerama.fr/livres/envoyee-speciale,136362.php
- La construction du roman
- L'humour constant
- La qualité de l'écriture
- Qu'il n' y ait pas davantage de romans de ce style dans la littérature française actuelle.