En 2012, Mo Yan, un écrivain chinois, a reçu le prix Nobel de littérature.
La joie est l’un de ses romans, en voici notre critique.
Mo Yan, qui signifie « celui qui ne parle pas », de son vrai nom Guan Moye, est né dans une famille de paysans pauvres du Shandong. Il a longtemps vécu au cœur de la campagne chinoise dont le souvenir nourrit son œuvre. Il a publié plus de quatre-vingts nouvelles et romans, des reportages, des critiques littéraires et des essais.
Mo Yan a puisé aux racines les plus profondes de sa propre histoire pour écrire La joie paru aux Editions Points en mai dernier. Son héros, Yongle, «Joie Éternelle», fils de paysans pauvres dans la province du Shandong rêve d’intégrer l’université pour fuir la misère et cette campagne qu’il exècre. Chaque année, Yongle tente le concours d’entrée. Il s’est fait recalé cinq fois de suite. Puis une sixième fois. Ce sera une fois de trop.
Pas vraiment La joie la vie de Yongle
Une fois de plus, Yongle rate le concours d’entrée à l’université. Il s’isole alors de la maison familiale et s’enterre dans un mutisme lancinant. Sa famille blessée par ses échecs répétés finira par l’envoyer dans les champs où Yongle devra déverser des litres d’insecticides. Il envisagera même son mariage avec une paysanne boiteuse dont personne ne veut pour épouse. Le destin de Yongle basculera le jour où il surprendra sa mère mendiant de maison en maison. Si elle mendie, ce n’est que pour permettre à son fils d’échapper à sa condition sociale et parce qu’elle nourrit l’espoir qu’un jour enfin, il deviendra fonctionnaire. Un jour peut-être, il faudra lui payer ses études. Conscient de ce qu’il est et de ce qu’il ne sera jamais, Yongle ira chercher par le mépris et l’abjection dont il est l’objet une échappatoire à son destin. La joie. Mais qu’est-ce que la joie ? Où y a-t-il de la joie ? Quelle est l’essence de la joie ? D’où vient la joie ? Répondez-lui, il vous en prie !
Le décor posé, le narrateur s’adresse alors à Yongle à la seconde personne. Il nous livrera non seulement ce que les uns et les autres pensent de ce pauvre garçon, mais également les états d’âme de Yongle ce, avec beaucoup d’autodérision. Le narrateur en profitera pour critiquer au passage la société chinoise, dénoncer son austérité, le poids des conventions, la politique de l’enfant unique, les horreurs de la misère, de la faim, de la saleté, les corps couverts de poux et les intestins dévorés par les ascaris. Non, décidément ce n’est pas franchement La joie d’être un fils de paysans pauvres de la province du Shandong !
La joie, une sensibilité poétique
Bien que très court, la lecture de ce roman, si l’on considère que c’en est bien un, peut sembler inaccessible. Inaccessible quant sa construction formelle. Pas un seul chapitre, pas de paragraphe, pas de dialogue, aucune mise en page, uniquement des mots qui se suivent, ligne après ligne. Mais au-delà de cette considération de pure forme, si La joie de Mo Yan peut sembler inaccessible c’est surtout parce l’auteur enchaîne ses réflexions, ses symboles et références. La joie est une confidence intime qui révèle en filigrane la vie passée et douloureuse de Mo Yan. Néanmoins, grâce à son ironie mordante, son autodérision, son humour, sa sensibilité et sa poésie, Mo Yan est parvenu à nous emmener dans la province du Shandong, dans la peau de ce pauvre Yongle qui va découvrir la joie éternelle. Pas cette émotion fugace que l’on peut ressentir en certaines occasions. Non, la joie ressentie par Yongle est éternelle. Au final, La joie de Mo Yan nous procure de jolies émotions malgré la noirceur du récit. Est-ce de la joie ? Telle est la question.
Tu voles, tournoyant entre ciel et terre, léger, libre et sans entrave, épargné par les souffrances de la chair et de l’âme, affranchi de tout désir, de toute pensée. Quelle joie, t’exclames-tu, quelle joie ! Je ne verrai plus vos corps verts souillés de sang et d’excréments verts, vos âmes remplies de vert-de-gris et d’ascaris verts, ô joie ! Je ne sentirai plus les miasmes des cadavres verts ni l’odeur froide du cuivre oxydé qui vous prend à la gorge, ô joie ! Je n’entendrai plus ni vos serments d’amour verts, ni les mensonges verts lâchés par vos bouches vertes, ô joie !
- Le style original et l'écriture
- Le dépaysement
- La sensibilité et la poésie malgré la noirceur
- Et bien justement, la noirceur de certains passages
- Le côté "écriture au kilomètre" qui peut rebuter, ce qui serait dommage !