Après Les stagiaires, Samantha Bailly est de retour avec Nos âmes jumelles. L’auteur nous fait (re)plonger dans les années lycée en compagnie de deux adolescentes à la fibre artistique. Critique d’un livre à découvrir.
Nos âmes jumelles nous livre l’histoire de deux lycéennes en classe de Première qui se rencontrent et se lient d’amitié par l’intermédiaire d’un forum en ligne. La première est Lou, une adolescente réservée vivant à Angoulême qui éprouve une véritable passion pour le dessin. Sujette à la dépression depuis que son père a quitté sa mère et sans amis au sein de son lycée, l’intelligente Lou trouve refuge sur le forum Trames qui lui permet de publier ses œuvres artistiques. La lycéenne, inscrite en Première S par une mère trop présente avec qui elle est en conflit et qui ne jure que par le travail scolaire et les grandes écoles, nourrit le rêve d’entrer à la célèbre école de l’image Les Gobelins pour devenir dessinatrice. Sur le forum Trames, Lou est connue sous le pseudonyme Tiamat et communique régulièrement avec Eru, un autre membre dont elle est secrètement amoureuse. Un jour, une nouvelle venue rejoint le forum pour y publier ses textes. Il s’agit de Sonia alias Yuna, l’autre protagoniste centrale de Nos âmes Jumelles. Sonia, à l’inverse de Lou, est une lycéenne de Première L, blonde et plutôt populaire dans son lycée. Issue d’une famille qui lui donne une éducation qu’elle trouve trop laxiste, elle a fait le choix de vivre en internat avec Matthieu, son meilleur ami. Sonia a elle aussi un rêve : celui de devenir écrivain. Grâce au forum, les deux adolescentes entrent en contact, nourrissent un projet artistique commun et dépassent vite l’aspect « professionnel » en se liant d’amitié. A travers l’écran, elle se trouvent de nombreux points communs mais aussi des différences qui leurs permettent de se compléter l’une l’autre. Comment leur relation va t-elle évoluer lorsque de virtuelle leur amitié deviendra réelle?
Avant d’entamer cette critique, j’aimerais adresser mes remerciements à la maison d’édition Rageot (qui a notamment publié les trilogies de Pierre Bottero que je vous recommande vivement) pour m’avoir permis de découvrir Nos âmes jumelles.
Un projet global
En lisant Nos âmes jumelles il faut avoir conscience que le livre ne constitue qu’une partie d’un plus grand projet. En effet, Samantha Bailly a publié sur sa page Facebook le message suivant :
« C’est le moment de vous révéler que « Nos âmes jumelles », « Les Stagiaires », « À durée déterminée », ou encore « Marelles », sont tous liés entre eux, dans cette démarche de dresser un portrait de ce que l’on nomme la génération Y, et de ce que les mutations sociétales, économiques ou numériques ont apporté comme changements dans notre quotidien, et notre humanité.
L’ambition de l’auteur est donc de taille puisqu’elle souhaite décrire la génération Y à savoir les jeunes de 15 à 35 ans (environ), ceux qui sont nés avec un ordinateur entre les mains (en gros). Le concept est très intéressant et c’est sans doute parce qu’elle essaie de décrire une génération dont elle fait elle-même partie que ses derniers livres parlent à autant de gens, et qu’il est très facile de s’y reconnaître. Dans Nos âmes jumelles, c’est le versant adolescence/lycée qui est abordé. Pour ma part, j’ai été un peu moins captivée par ce livre que par Les Stagiaires sûrement parce que c’est un roman plus orienté jeunesse.
Nos âmes jumelles, un livre très réaliste
Nos âmes Jumelles est un livre très réaliste qui permet à l’évidence de constater que l’auteur maîtrise son sujet. C’est un point que nous avions également souligné pour Les stagiaires, le précédent ouvrage de Samantha Bailly dont nous avions fait la critique. J’ai été particulièrement séduite par le fait que, pour la première fois avec Nos âmes jumelles, je me suis reconnue dans une œuvre traitant des années lycée et de l’adolescence. Il est en effet rare de lire une fiction réaliste sur la jeunesse qui ne soit pas caricaturale ou à côté de la plaque. La justesse de l’histoire de Nos âmes jumelles tient sans doute au fait que Samantha Bailly se soit inspirée de sa propre expérience pour livrer ce roman comme elle l’explique sur son site :
« comme vous le savez sûrement, j’ai débuté dans l’écriture via mon propre site Internet à 14 ans, ainsi qu’en hantant certains forums d’associations de fanzine ou sur les Final Fantasy. Nos âmes jumelles puise sa source dans plusieurs éléments, mais notamment mon amitié avec Sonia, devenue ma première lectrice, sans qui je n’aurais pas écrit Ce qui nous lie, ainsi que mon amitié avec Miya, mangaka aux éditions Pika, avec laquelle nous n’avons cessé de développer des projets. »
Il y a donc de nombreux éléments communs entre le vécu de l’auteure et le contenu de Nos âmes jumelles : Sonia est le nom de la meilleure amie de l’auteure mais c’est aussi celui d’une des deux héroïnes du livre, Samantha Bailly a rencontré sa meilleure amie sur un forum et c’est aussi ce qui se passe dans le bouquin, Boulet a réalisé la couverture des Stagiaires et nous le retrouvons dans Nos âmes jumelles en tant que personnage, Samantha Bailly est amie avec la mangaka Miya et c’est également un personnage que l’on retrouve dans le roman… La réalité semble clairement être une source d’inspiration pour écrire la fiction et c’est tant mieux car cela renforce le réalisme de l’œuvre.
Beaucoup se reconnaitront dans Nos âmes jumelles soit parce qu’ils vivent actuellement une situation semblable à celle énoncée, soit parce que cela leur évoquera des souvenirs du passé qu’ils soient bons ou mauvais. Le livre décrit des situations que l’on a tous pu vivre ou que l’on aurait pu vivre. De plus, les deux personnages principaux, Lou et Sonia, sont très différents l’un de l’autre (et donc très complémentaires) ce qui permet au lecteur de s’identifier à celui qui lui correspond le plus. Il y a un aspect réconfortant à se reconnaitre dans les situations évoquées et de se dire que finalement, on a tous vécu la même chose.
Nos âmes Jumelles est un roman très réaliste mais aussi très actuel. Il aborde de nombreux thèmes tels que l’orientation scolaire, la relation aux parents, la sphère familiale, l’amitié virtuelle, l’amour et la première fois, l’homosexualité et l’homophobie, la popularité et la notion d’image qu’on donne aux autres, le mal-être adolescent… autant de questions qui traversent l’esprit ou la vie des jeunes lycéens ! Si certains aspects sont moins approfondis que d’autres, ce que l’on regrettera, il est néanmoins très intéressant de voir à quel point la vie « des jeunes » peut être riche et bien plus complexe qu’il n’y paraît. Dans Nos âmes jumelles, Samantha Bailly nous démontre que l’adolescence ne se résume pas à la rébellion. Au contraire, les questions, les tiraillements, les doutes sont multiples. Par exemple, il n’est pas simple pour Lou d’affronter une mère qui s’oppose à sa volonté d’embrasser une carrière artistique dans le dessin, d’autant plus que sa réussite scolaire au sein de la filière scientifique semble prouver qu’elle a les capacités pour entrer dans une grande école. Le regard porté sur l’adolescence dans Nos âmes jumelles est plaisant car il ne tombe pas dans le cliché mais il essaie au contraire d’en montrer les subtilités, et ça fait du bien !
Nos âmes jumelles ou l’amitié virtuelle
Qui n’a jamais eu droit au laïus « les relations virtuelles c’est dangereux, on ne sait jamais réellement à qui on a affaire derrière l’écran »? La mise en garde est légitime mais Nos âmes jumelles tend à nuancer cette peur vis-à-vis de la sphère virtuelle. Voici ce que dit l’auteure sur son site à propos de ces amitiés à distance :
À notre époque, les « rencontres sur Internet » demeurait un sujet assez tabou, honteux. Pourtant, j’ai l’impression que toute une génération a été marquée par ces rencontres virtuelles autour de passions, qui ont basculé dans le réel.
Nos âmes jumelles raconte la rencontre et l’amitié de deux adolescente via un forum. C’est leur passion qui les réunit. Si leur amitié commence en ligne, elle se poursuivra ensuite dans la sphère réelle. C’est une situation que beaucoup de jeunes ont connu mais qui n’était pas clamée haut et fort car l’ancrage de la peur de la rencontre sur Internet était forte. Nos âmes jumelles dédiabolise cette notion. Oui il faut se méfier, mais oui l’amitié et les rencontres sur le web sont possibles et peuvent être tout aussi belles et fortes que les rencontres IRL (dans la vie réelle). L’amitié peut naitre par écran interposé même si souvent on ne parle que des risques que cela pourrait comporter. Là encore à travers Nos âmes jumelles, on remarque toute la finesse du raisonnement de l’auteure : elle nous montre que la rencontre sur Internet est possible mais elle n’oublie pas les risques sans pour autant les faire passer au premier plan et basculer dans la peur. En effet, la mère de Lou est effrayée à l’annonce de cette amitié virtuelle mais cette dernière la rassure vite. Et si le lien entre Sonia et Lou est sain, il n’en est pas de même pour une autre relation virtuelle évoquée dans le livre. Nos âmes jumelles nous montre donc les deux versants de la question sans basculer dans la paranoïa. Et ça aussi ça fait du bien !
Un style
Nos âmes jumelles est un livre très bien écrit. Le style est fluide, le roman se lit facilement et rapidement. Comme dans Les stagiaires, on y retrouve une alternance un chapitre sur deux entre Lou et Sonia, les deux personnages principaux. D’autres points communs existent entre les deux livres : certains thèmes comme l’univers japonais, de la BD ou du manga sont récurrents et au delà de la narration et des dialogues, l’histoire est agrémentée d’extraits de discussions en temps réel et de SMS.
Nos âmes jumelles se déroule sur le temps d’une année scolaire, de la rentrée aux vacances d’été. Chaque début de chapitre commence avec un flashforward (un saut dans le futur) constitué d’un extrait de conversation entre les deux amies 10 ans après leur rencontre sur le forum Trames. On devine d’ailleurs peu à peu qu’elles ont chacune embrassé une carrière artistique et que ça leur réussit plutôt bien.
Enfin, un sentiment de bienveillance résulte de la lecture de Nos âmes jumelles. En effet, Samantha Bailly essaie de comprendre, de décrypter plutôt que de juger. Certains personnages méritaient de l’hostilité voire même une bonne paire de baffes mais ils bénéficient presque de la compassion de la part de Sonia ou Lou. Pour exemple, lorsque Matthieu, le meilleur ami de Sonia est victime d’homophobie, cette dernière tente de comprendre les causes d’un tel comportement de la part de son agresseur. Idem, lorsque Lou s’enquiert de l’état de Julie, une lycéenne qui n’a pas été tendre avec elle tout au long de l’année. Nos âmes jumelles est un livre qui traite de sujets importants tout en faisant dans la nuance, ce qui est très appréciable.
Pour conclure cette longue critique, Nos âmes jumelles est un livre agréable à lire mais qui est plutôt destiné à un lectorat adolescent. Le réalisme, l’ancrage dans le monde actuel et le style sont les points fort de ce nouveau roman de Samantha Bailly. Donnons-nous rendez-vous pour 2016, date de sortie prévue pour la suite de Nos âmes jumelles.
Pour en savoir plus sur Nos âmes jumelles :
- Encres et calames
- Paroles d’auteurs
- Fairy neverland
- Lire Délivre
- Les petits mots de Saefiel
- Wendy and Belle’s readings
- La description réaliste de l'adolescence et de la jeunesse au lycée
- Le style
- Les thèmes variés traités avec intelligence et finesse
- Un roman un peu trop jeunesse
- Le manque d'approfondissement de certains sujets