Notre critique du dernier roman de Grégoire Delacourt, On ne voyait que le Bonheur, qui vient de sortir chez Le Livre de Poche.
De Grégoire Delacourt on connaît L’Ecrivain de la Famille, son premier roman, mais surtout, La Liste de mes Envies, énorme succès littéraire adapté au cinéma en 2014 (avec Marc Lavoine et Mathilde Seigner dans les rôles principaux). Des histoires de gens simples, touchés par la grâce et malmenés par la vie. Nouveau titre à rallonge et nouvelle famille tourmentées dans On ne voyait que le Bonheur, dont l’auteur lui-même signe la postface. Un roman en trois parties qui nous emmène du nord de la France à la côte ouest du Mexique mais surtout un sombre voyage dans le cœur des êtres humains, qui explore l’amour, la lâcheté et la rédemption, envers et contre tout. Ce texte s’inscrit-il dans la lignée des précédents ?
Un roman plus sombre
Antoine approche doucement la quarantaine. Expert en assurance dans le nord de la France, il est payé pour estimer la vie des autres, au plus juste. Il s’interroge sur la valeur de la sienne, qui fera l’objet d’On ne voyait que le Bonheur. Un titre trop long, qui laisse déjà deviner le beau vernis qui craque, les fêlures dans les murs tout neufs. Sur la couverture, une famille parfaite, une jolie maison, un temps ensoleillé, une image simple de la belle vie d’un couple.
Heureusement, le titre ne fait pas le roman. Dans la famille du protagoniste, on a le gêne des yeux verts et de la lâcheté. Antoine raconte d’abord son père, un étudiant en chimie qui délaisse une grande carrière pour rester près d’une jolie blonde qui l’avait envoûté lors du bal du 14 juillet. Et qui, des années plus tard, n’avait pas su la retenir, pas osé aller la rechercher. Antoine, lui aussi, est quelqu’un qui n’ose jamais, comme il le répète souvent. Comme son père avant lui, il ne parvient pas à maintenir son foyer en harmonie, lui qui voudrait le meilleur pour ses deux enfants, Léon et Joséphine. On ne voyait que le Bonheur ce sont les grandes, mais surtout les petites souffrances, les gestes qu’on ne fait pas, le baiser ou la baffe qu’on ne donne pas. Le côté obscur de la carte postale.
Des chiffres et des sentiments
Trois parties composent On ne voyait que le Bonheur. Dans la première, dont les titres sont des prix, c’est Antoine le narrateur. C’est la froideur de l’expert qui s’exprime en haut de chaque page, une valeur pour un souvenir. Il s’adresse à son fils et lui raconte dans le désordre : son métier, la rencontre avec Nathalie, son enfance bancale, son père décevant, son meilleur ami, son désir de bonheur parfait. Antoine est un peu comme Gabriel de La Théorie du Panda, la froideur en moins. Il est plein de larmes et de coups à donner, encore. La chronologie complètement aléatoire suit le cheminement tortueux de la pensée humaine, qui saute d’un détail à un autre sans logique de temps. Le style est fluide, souple, léger et très émouvant, même si je ne comprends pas l’utilité du récit fait à Léon. Des chiffres encore dans la seconde partie, des nombres qui rythment la vie d’Antoine, une autre vie. Ce sont des nombres liés à des émotions, l’expert en assurances s’efface un peu devant les plages du Mexique. Grégoire Delacourt sait peindre les rêves et les espoirs des hommes sans mettre des couches de pathos, même si on frôle l’abus de sensiblerie lors de la rencontre entre les personnages de Thomas et Anna.
La troisième partie marque un changement total puisque c’est Joséphine, la fille du héros, qui prend les commandes. C’est un personnage touchant, discret et fort, la véritable héroïne du roman. Les chapitres sont des dates, car nous sommes au cœur du journal de la jeune fille. « Le temps est passé. Alors le temps est venu » nous dit l’introduction de ce qui sera la fin du livre et du voyage. On ne voyait que le Bonheur est un roman beaucoup plus difficile et complexe qu’il n’y paraît. Si le texte se lit avec aisance, le drame qui tombe comme un couperet et la complexité des personnages lui donnent ambition et densité. Un roman qui fascine par sa précision dans la description des émotions, autant – voire plus – que par son intrigue. Les inconditionnels de Delacourt vont être surpris par la noirceur du récit. Pour moi, la surprise est très bonne. Et on ne passe pas à côté de la postface qui explique avec simplicité la genèse du roman.
Pour un autre article sur On ne voyait que le Bonheur, c’est sur Onlalu.
- Un style d'une grande fluidité
- Le personnage de Joséphine
- Le côté très sombre du roman
- Les personnages de Thomas et Anna
- Le fait que le narrateur s'adresse à son fils