The Cut, de Fatih Akin, le génocide qui ne dit pas son nom.
The Cut, ici critiqué, est le douzième film de Fatih Akin, réalisateur notamment de De L’Autre Côté (Ours d’Or à Berlin en 2004) et de Soul Kitchen (Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise en 2009). The Cut s’inscrit dans une trilogie, dont chaque film est indépendant, dont les thèmes sont l’amour (Head On), la mort (De L’Autre Côté) et le Diable. The Cut s’occupe de cette dernière partie, en s’emparant du très difficile sujet du génocide Arménien. Tellement difficile que le réalisateur est menacé de mort en Turquie, qui ne veut toujours pas reconnaître la tragédie. Pour bien travailler le propos de The Cut, Fatih Akin a collaboré avec Mardik Martin, un scénariste Américain d’origine Arménienne, et très loin de sortir de nulle part : l’homme à l’écriture de The Cut est notamment derrière le scénario de Raging Bull de Martin Scorcese. Une collaboration très emblématique, symbolique, au profit d’un The Cut qu’on attendait de découvrir avec une pointe d’impatience.
What The Cut ?
The Cut débute en Anatolie, année 1915, alors que la première guerre mondiale est en train de terroriser la planète entière. L’armée turque, elle, en profite pour massacrer les Arméniens implacablement, méthodiquement. C’est ainsi que Nazaret Manoogian (Tahar Rahim, vu dans Samba, Gibraltar, Or Noir, Un Prophète), forgeron et père de famille, est dramatiquement séparé de sa femme et de ses deux filles. Alors que la génocide décrit dans The Cut est en train de prendre fin, Nazaret en réchappe par miracle et apprend que ses enfants sont toujours en vie, quelque part. Motivé par son espérance, devenu muet suite à sa blessure, le personnage principal de The Cut se lance à leur recherche à travers le monde, où il multipliera les rencontres fascinantes.
The Cut, une plongée dans l’horreur absolue.
The Cut se divise très clairement en trois parties. La première est la description d’un génocide, ici Arménien, dans toute sa violence. Nazaret Manoogian est bien installé, tout se passe plutôt bien entre Catholiques et Musulmans, les commerçants font leurs petites magouilles inoffensives. Bref, un quotidien dont on ne mesure plus, à l’heure actuelle, le caractère précieux, engoncés que nous sommes dans notre confort bouffi. The Cut tourne alors au cauchemar, en brisant cette sérénité. Un cauchemar éveillé, puisque les horreurs qui vont, dès lors, se dérouler dans The Cut, devant nos yeux, sont de l’ordre de l’historique. Le personnage principal de The Cut, Nazaret, est séparé de sa famille, réquisitionné par le pouvoir en place et doit prendre part aux travaux forcés. Une agonie à ciel ouvert qui n’aura pas le temps de tuer le groupe entier : les soldats en charge de la surveillance des prisonniers ont reçu l’ordre de couper court, en proposant aux hommes de se convertir à l’Islam. Certains acceptent, ils sont sauvés. D’autres ne se soumettent pas, et font face aux corps vidés de tout humanisme qui leur fait face dans The Cut. S’ensuit alors une marche dans le désert où le groupe, chacun attaché l’un à l’autre, avance vers sa mort certaine. The Cut montre l’exécution, froide, terrorisante, sanglante, tout en restant très loin de toute envie d’en faire plus que de raison. The Cut réussit à garder un équilibre des émotions, et c’est salutaire pour le spectateur plongé en pleine angoisse.
The Cut, survivre au génocide.
The Cut est autant une œuvre sur le génocide (oui messieurs les dirigeants turcs : génocide) arménien qu’un film sur les conséquences des déportations, qui sont l’arme fatale de ce genre de désastre éminemment répugnant. Nazaret, le personnage principal de The Cut, ne porte pas ce prénom sans raison. Le forgeron, qui survit à l’exécution mais y perd l’usage de la parole, va devoir porter sa croix tout au long de The Cut, marcher dans le désert et rencontrer toutes sortes de démons et d’anges sur son chemin. Cette dimension du sacré, de l’utilisation de codes religieux, est très importante dans The Cut. Non que le film soit dévot, absolument pas, mais en démontrant le malheur d’un génocide qui s’appuie autant sur les croyances que sur les races, Fatih Akin en vient obligatoirement à interroger, à remettre en question. Il le fait brillamment, en ne se contentant pas du simple blasphème, forme vulgaire, prétentieuse, d’un raisonnement qui a besoin, plus que jamais, d’être intelligible et accepté. Débute alors la deuxième partie de The Cut, celle de la cavale, où Nazaret va devoir se planquer pour le restant de la guerre. Alors qu’il échappe à de nombreuses épreuves dans The Cut, il est récupéré, bien mal en point, par un producteur de savon. Musulman. Ce dernier va risquer sa vie en le cachant sous son toit, belle preuve que le peuple, les croyants, n’ont rien à voir avec ceux qui les dirigent. The Cut perd un peu en impact ce qu’il gagne en ambiance, et on est tout simplement happé par le déroulé du scénario, prudent mais jusqu’ici diablement efficace.
The Cut, l’espoir après la tragédie.
The Cut est le film d’un esthète tout autant que d’un auteur courageux. Le film prend le parti de ne pas faire dans la multiplication des plans tous azimuts. La caméra du metteur en scène de The Cut sait se poser quand il le faut, et juste assez de temps pour être contemplatif, et non barbant (n’est-ce pas Des Hommes et des Dieux ?). On sait le réalisateur de The Cut grand fan de Sergio Leone, et on retrouve effectivement cette volonté du plan juste, efficace, à un endroit précis pour bien couvrir l’action. La séquence, marquante, de la belle-sœur de Nazaret en train d’agoniser dans un camp de mort, où les cadavres jonchent le sol, en est un exemple frappant. Dans ce moment de The Cut, d’une intensité éprouvante, on est frappé par le cadre très propre, esthétique, juste ce qu’il faut pour être à la fois insoutenable et très en beauté. Cette recherche du beau, que produit The Cut, ne plaira pas à tout le monde, la mode étant aux effets clipesques, et ce qui ne s’y apparente pas étant qualifié, très injustement, de prudent. Voir d’académique, adjectif très à la mode en ce moment, et qui sera certainement utilisé à tort pour The Cut. Non, la caméra ne tremble pas sans raison. Oui, le récit est linéaire. Et alors ? Débute alors la troisième partie de The Cut, la recherche des enfants perdus de Nazaret, qui saute sur cette quête aussi bien pour se redonner un coup de fouet que pour, évidemment, le bien-être de ce qui lui reste de famille. The Cut devient alors un road movie au rythme un peu haché, mais toujours très prenant, émouvant. L’un des sujets de cette dernière partie de The Cut est l’inlassable recommencement, le fait que l’être humain reproduit, et reproduira, les mêmes horreurs, à cela près que nous pouvons dorénavant faire valoir notre expérience. Le personnage principal de The Cut a assisté à un viol lors du génocide, et assiste à la même scène ignoble aux USA. La différence fondamentale est que Nazaret intervient cette fois, risquant au passage sa vie. Ça se suit très bien, même si techniquement c’est un peu en deçà du reste. Le montage de The Cut marche par à-coups dans ce dernier tiers, certaines séquences ne se raccordent pas super bien, mais on est tellement pris par le destin de Nazaret, ses épreuves endurées, son espoir synonyme de vie, qui le feront voyager jusqu’au Nord des États-Unis, qu’on peut pardonner deux ou trois coups de mou à ce The Cut.
The Cut est un film riche en sujets, en émotions. Citons cet instant suspendu où Nazaret découvre le cinéma muet, via Charlie Chaplin, ce qui ne manque pas de faire hurler certains religieux beaucoup trop attachés aux textes. Mais, pour le héros de The Cut, qui ne peut que comprendre le langage muet, sa force évocatrice, cette découverte a une saveur particulière, faite d’espérance et de passion. Tout ces propos sont bien servis, dans The Cut, par une lumière tout simplement magnifique, et même une nuit américaine bien maîtrisée. La musique de The Cut, quand à elle, à base de guitare électrique très « Morriconienne » et de chant traditionnel, est bien dans le ton du film : surprenante et bénéfiques aux sujets traités. On regrettera, et ce n’est pas rien, le choix de Tahar Rahim pour le rôle principal de The Cut. Attention, le talent de cet acteur n’est pas une seule seconde remis en cause. C’est juste qu’un acteur plus marqué, peut-être un peu plus âgé, aurait eu moins de mal à rendre certaines émotions. Tahar Rahim a le visage encore un peu lisse pour tenir sur ses épaules un tel personnage. Autre souci, la reconstitution historique demandée par l’époque à laquelle se déroule The Cut n’est pas tout le temps bien servie par les costumes. Ceux-ci ont cette apparence assez gênante du vêtement qu’on a sali artificiellement. D’ailleurs, c’est tout le maquillage qui souffre de cet effet factice, car celui appliqué aux différents acteurs de The Cut a aussi ce rendu proprement sale, ou salement propre. Mais aucun de ces défauts ne gâche réellement The Cut, qu’on aurait tort de louper pour si peu.
The Cut, les bonus.
Pour voir la bande-annonce de The Cut, c’est par ici.
Fatih Akin, réalisateur de The Cut, répond longuement aux questions des journalistes dans cette vidéo.
Pour lire d’autres critiques de The Cut, c’est notamment sur Critikat ou Le Blog Du Cinéma.
- Mise en scène claire et sérieuse.
- Musique pleine de personnalité.
- Des sujets universels.
- Tahar Rahim trop jeune.
- Les costumes font factices.
- Dernière partie un peu hachée.