Critique du premier film de Thomas Bidegain Les Cowboys.
Pour certains, le nom de Thomas Bidegain n’évoquera peut être rien. Peu connu du grand public, son nom est pourtant depuis quelques années lié à celui de Jacques Audiard. Et pour cause : c’est à ses talents de scénariste qu’on doit Un Prophète, De rouille et d’os, ainsi que le tout fraîchement primé Dheepan. Avec Les Cowboys, Thomas Bidegain réalise un premier film ambitieux, que nous avons découvert pour vous.
L’histoire commence en 1994 dans le Nord de la France, lors d’un rassemblement d’une communauté country western. Au milieu des cow-boys, Alain et sa fille Kelly profitent des festivités au cours d’un slow complice. Ce qu’Alain ignore, c’est que sa fille s’apprête à fuguer, le plongeant au centre d’un interminable jeu de piste qui durera plus de 10 ans.
Très vite lassé par l’attitude désinvolte des pouvoirs publics, Alain (François Damiens) accompagné de son fils Kid (Finnegan Oldfield) n’aura de cesse de retrouver sa fille par ses propres moyens, avec pour seul indice la lettre d’adieu laissée par Kelly ainsi que des documents de propagande en arabe cachés au fond de son bureau. Au gré de divers voyages en Europe ainsi qu’au Moyen-Orient, Alain et Kid vont ainsi tenter de retracer le parcours de Kelly et de comprendre comment une brillante lycéenne a pu emprunter le chemin de l’Islam radical…
Les Cowboys aborde ici le thème sensible de l’embrigadement des jeunes au sein des mouvements extrémistes se réclamant de l’Islam. Il le traite avec une sincérité touchante, au delà des simples oppositions Cowboys/Indiens, ou Américains/Orientaux, en nous montrant les ravages que les mouvements extrémistes font, non sur les champs de bataille, mais au cœur de la vie des civils.
Cowboys contre… cowboys ?
Au centre des Cowboys, deux personnages se joignent et s’opposent. Le père (François Damiens), face à cette épreuve, n’aura de cesse de retrouver sa fille, au point de sombrer dans une obsession maladive, persuadé que ce sont « les indiens » qui ont enlevé sa fille. Le cowboy Damiens se dressera en Shérif, seul contre le reste du monde, afin de sauver sa fille, quitte à se détruire progressivement, se mettant à dos son entourage ainsi que sa famille.
Face à cette vision manichéenne voire rétrograde de la situation, son fils, Kid, apporte une vision beaucoup plus moderne, et symbolise la mutation de la société et des mentalités. En effet, alors que son père joue aux cow-boys et aux indiens, Kid apporte une vision plus lucide et ouverte de la situation. Loin des considérations propres au XXème siècle, alors que l’Islamisme radical était un mal ignoré par l’occident, Kid apporte au spectateur le regard d’un enfant ayant grandi au gré des événements tragiques que sont, entre autres, les attentats de Madrid ainsi que ceux du 11 Septembre 2001. Kid va ainsi voyager jusqu’aux villages isolés des montagnes du Pakistan, et se heurter à la réalité de ceux pour qui l’islamisme est une menace du quotidien.
Le personnage de Kid, joué avec maestria par Finnegan Oldfield, fait figure de véritable révélation des Cowboys, et incarne, malgré sa jeunesse, une véritable figure de western. Dans la peau d’un personnage apprenant à se méfier de ce monde hostile, il nous gratifie d’un jeu nuancé d’expressions et de regards, dont le bleu pourrait rappeler la figure du Henry Fonda de Il était une fois dans l’Ouest.
A côté de la révélation Finnegan Oldfield, la prestation de François Damiens sonne comme une véritable confirmation, celle d’un acteur dramatique qui sait insuffler, au delà des talents humoristiques qu’on lui connaît, toute la sensibilité et la sincérité nécessaire à ce type de rôle. Dans Les Cowboys, il a su retranscrire la détresse et la hargne du père de famille grâce à un jeu corporel bluffant, apportant une tension particulière à certaines scènes, aux allures de duels au soleil.
A travers ces deux personnages centraux, le parallèle avec le western est très bien assumé par la réalisation, et trouve une résonance particulière alors que Kid arpente les paysages arides du Rajasthan. Voyage, découverte, alliances de circonstance, autant de codes empruntés aux “vrais” films de cow-boys et adaptés à une problématique qui s’y prête assez bien. Sans forcer le trait ni tomber dans des raccourcis faciles, Thomas Bidegain apporte un regard nouveau sur une question tant épineuse que récurrente, à travers le spectre de cette famille du nord de la France qui, bouleversée par les événements, devra trouver le moyen de se reconstruire une identité et un avenir.
S’il ne semble pas voué à un succès auprès du grand public, ce film intelligent et différent se révèle être un bon moment de cinéma, que les plus curieux d’entre vous sauront savourer.
- Le duo Damiens/Oldfield
- La manière de traiter le sujet
- Les paysages du Rajasthan
- Les autres personnages peu creusés
- Titre : Les Cowboys
- Année de sortie : 2015
- Style : Drame
- Réalisateur : Thomas Bidegain
- Synopsis : Une grande prairie, un rassemblement country western quelque part dans l’est de la France. Alain est l’un des piliers de cette communauté. Il danse avec Kelly, sa fille de 16 ans sous l’oeil attendri de sa femme et de leur jeune fils Kid. Mais ce jour là Kelly disparaît. La vie de la famille s’effondre. Alain n’aura alors de cesse que de chercher sa fille, au prix de l’amour des siens et de tout ce qu’il possédait. Le voilà projeté dans le fracas du monde. Un monde en plein bouleversement où son seul soutien sera désormais Kid, son fils, qui lui a sacrifié sa jeunesse, et qu’il traîne avec lui dans cette quête sans fin.
- Acteurs principaux : François Damiens, Finnegan Oldfield, Agathe Dronne, John C. Reilly
- Durée : 1h45min