Severed, destins mutilés et one-shot de qualité (édition Urban Comics).
Severed, sous-titré Destins Mutilés, c’est l’affaire de deux Scott à l’écriture du comics ici critiqué : Snyder et Tuft. Pas spécialement attirés par l’horreur, ces deux auteurs de cette bande dessinée se sont tout de même attelés à la tâche en apportant chacun leur dose de talent. Le premier n’était pas un inconnu avant de se lancer dans Severed, loin de là, puisque son travail sur le personnage de Batman (La Cour des Hiboux) est parmi les meilleurs de ces dernières années. Le second auteur de Severed, quand à lui, vient du cinéma et a déjà réalisé quelques courts-métrage remarqués (Make Up, The Passage of Mrs. Calabash). Cette équipe prometteuse à l’écriture de Severed est rejointe par le Hongrois Attila Futaki, un prodige de la bande dessinée dont le talent pour décrire les sentiments les sentiments les plus sombres n’est plus à démontrer.
Severed, la grande dépression qui nous guette.
Severed prend place en 1916, à Jamestown dans l’État de New-York, alors que l’Amérique est en train de connaître le début de sa modernisation tout en sachant plus ou moins consciemment qu’elle se dirige tout droit vers la Grande Dépression. Jack Garron, le personnage principal de Severed, est un adolescent dont la vie a basculé le jour où sa mère adoptive s’est dévoilée en tant que telle. Doué pour le violon, comme son véritable père dont il reçoit des lettres sans être sûr de l’identité de l’auteur, Jack couve le projet de rejoindre celui qui lui a légué ce talent. La veille de la rentrée des classes, le jeune homme s’enfuit de son domicile et monte à bord d’un train en pleine marche, direction Chicago pour forcer sa destinée. Dans cette grande ville, Jack fait la connaissance de Sam, un autre adolescent qui prend à cœur de cacher sa véritable identité. Le duo de Severed, plein de ressources, ne sait pas encore qu’il est traqué par un étrange et inquiétant personnage, se présentant comme vendeur de phonographes et répondant au nom de Alan Fischer.
Severed, un voyage inattendu.
Severed est un one-shot réunissant dans un seul ouvrage les sept chapitres sortis chez Image Comics. La couverture choisie, celle du chapitre trois, est parfaite pour illustrer au mieux ce que sera Severed tout au long de sa lecture : un récit inscrit dans le réel, qui voit surgir le monstre tapi dans le quotidien. L’histoire débute par la fugue de Jack, qu’on imagine préparée de longue haleine. Les dialogues sonnent juste, n’en font jamais trop, et on est tout de suite épaté par les dessins de Attila Futaki. Mais quel talent chez ce bonhomme ! Les décors de Severed, les visages, les corps dont les mouvements sont perceptibles dès le premier coup d’œil, il est fort à parier que Severed n’aurait pas le même impact sans ce dessinateur. Pas que le scénario soit mauvais, très loin de là, mais on peut dire que Severed ne brille pas par son originalité de toutes les pages.
Severed, let’s boogey, let’s man.
Severed débute donc par la fugue de Jack, traitée de belle manière tout en risquant de faire perdre le fil à beaucoup de lecteurs par son traitement très rapide. La réaction du jeune homme est soudaine, son acte désinvolte, et on ne comprend pas très bien s’il part définitivement ou juste pour une balade dans les parages. Rien de bien grave cependant, car l’empathie pour le personnage principal de Severed est tel qu’on est prêt à accepter cette courte approximation. D’ailleurs, la lumière est faite dès le passage du train où, évidemment, plus aucun doute n’est permis. Le récit avance assez rapidement, et la présentation du grand méchant de Severed, boogeyman qui aurait tout à fait sa place dans un film, est rapidement faite. La séquence prend tout son temps pour installer l’ambiance de mort, malsaine, qui règne autour de celui qui se fait appeler Alan Fischer. Et c’est réussi, car on ne peut plus, dès lors dans Severed, ne pas être terrifié par lui. Comme, par exemple, lors de cette scène incroyable nous exposant la rencontre du duo Jack et Sam, dans la chambre d’hôtel de celui qu’ils ne connaissent pas encore sous son vrai visage. Un moment sinistre, glauque, qui restera longtemps dans les mémoires. Severed est diablement efficace de ce côté, arrive à bien rendre l’effroi.
Severed, droit au but.
L’histoire de Severed se place en 1916, soit une petite dizaine d’années avant une Grande Dépression qui était déjà assez perceptible, même si la modernisation des États-Unis apporte sa grosse dose d’emplois et de réussites individuelles. Chicago est une ville qu’on sent sur le point de plonger, et pourtant les personnages décrits dans Severed semblent accepter, voir se jouer de cette ambiance à la fois morose et encourageante. Sam personnalise le côté maussade de l’époque, sur le qui-vive. Jack, lui, est l’espoir à l’état brut. Cette espérance est aussi visible que le nez au milieu de la figure, et en total décalage avec la catastrophe économique qui vient. Au milieu de ces contradictions, Alan Fischer intervient dans Severed comme un moyen de détruire l’espoir, un boogeyman (ou croque-mitaine) dont l’envie est de se nourrir de ce sentiment après l’avoir créé de toutes pièces. Si l’on peut regretter que le tout soit trop court pour rentrer en profondeur dans ce diabolique personnage, qu’on croirait mélange de Randal Flagg (Le Fléau, de Stephen King) et de Jeepers Creepers, on peut aussi dire que la courte durée de Severed est aussi une bénédiction. L’explication tue très souvent les personnages maléfiques, en apportant des réponses maladroites à des questions qu’on ne se posait même pas. Les fans de Halloween, dont le Michael Myers fut massacré par Rob Zombie, le savent mieux que personne. On ne saura jamais d’où vient le croque-mitaine de Severed, une aura de mystère l’entourera à jamais, exactement comme l’antagoniste du Halloween de Carpenter. En l’état, Severed, et tout particulièrement Alan Fischer, est assuré de rester durablement dans nos souvenir, hantant nos nuits avec délectation.
Au final, Severed est une bande dessinée dont l’ambition n’est pas de vous noyer sous les nouveautés, en vous proposant un scénario complètement dingue et fourni en rebondissement. Ce qu’il veut produire chez le lecteur, et c’est réussi, c’est l’effroi, la peur, tout en nous racontant une histoire solide. Pas spécialement le suspense qui est, disons le clairement, absent ou peu travaillé. Severed arrive parfaitement à atteindre son but, et vous auriez tort de ne pas le vérifier par vous-même. Notons que l’édition est un fort bel ouvrage, en papier de qualité, avec introduction et bonus à tout va (interviews, artworks, présentation des auteurs et du dessinateur). Tout ce qu’il faut pour aborder et sortir de ce Severed avec grand confort.
Severed, les bonus.
Pour lire d’autres critiques de Severed, c’est notamment chez PlaneteBD, MDCU-Comics, Auracan ou L’Autre Monde.
Pour lire un court passage de Severed, c’est sur Urban-Comics.
Le blog d’Attila Futaki, dessinateur de Severed, est à cette adresse. Malheureusement pas mis à jour depuis 2011, mais pas mal de planches (hors Severed) à admirer.
- Les personnages bien décrits.
- Attila Futaki, du tout bon au dessin.
- Un croque-mitaine marquant.
- Scénario ne cherche pas l'originalité.
- Pas beaucoup de suspense.