Dans la peau d’une djihadiste – Anna Erelle

Dans la peau d’une djihadiste est un livre écrit par une journaliste courageuse qui est rentrée en contact avec un des grands combattants de l’Etat Islamique. C’est un récit poignant, dur, et terriblement téméraire.

Une histoire vraie est souvent difficile à écrire, surtout lorsqu’elle parle de soi. Mais Anna Erelle le fait avec un détachement aussi délicat que les faits exposés sont durs et grossiers. Anna s’est créée une fausse identité sur Internet afin de superviser les réseaux islamistes. En furetant sur le net, notamment sur les réseaux sociaux, Anna découvre beaucoup d’informations et cela lui permet d’élargir sa culture et l’aide dans son métier de journaliste. Dans cet univers, elle s’appelle Mélanie (comme la rappeuse Diam’s précise Anna) Nin et elle a quelques années de moins que dans la réalité. Mélanie n’est pas brillante, mais pas stupide non plus. Cependant, à force de chercher le loup, on finit un jour par le trouver, non ? Et un jour, la vie de Mélanie va basculer, et celle d’Anna par la même occasion.

Mélanie, la vingtaine, recrutée sur les réseaux sociaux

Un jour comme les autres, Mélanie est contactée par Bilal, un guerrier de l’Etat Islamique qui, elle l’apprendra plus tard, est une des figures les plus importantes de cette coalition et un des bras droits de Abou Bakr al-Baghdadi. D’abord par messages privés, puis via Skype, Mélanie va interagir de plus en plus avec Bilal. Si l’on suit le récit, c’est même très intense car Mélanie doit écouter les récits de Bilal tous les soirs. Très rapidement Bilal insiste pour voir cette femme qu’il surnomme « lionne », lui demande si elle est musulmane, voilée, etc… et tout aussi rapidement chante les louanges de l’Etat Islamique. D’ailleurs, de ses récits, on retiendra que la Syrie c’est un paradis, que tous les jours de nouvelles personnes arrivent, que ce soient des femmes, parfois très jeunes (certaines mineures), ou même des hommes. Ce qui est frappant et heurtant, c’est la capacité qu’a Bilal pour se mettre à la place de Mélanie en projetant son discours par des tournures de phrases précises et chirurgicales, comme :

Quand tu seras là…

Pour agrémenter la discussion, Anna est obligée de mettre un voile sur ses cheveux car lorsqu’ils discutent sur Skype, elle veut que tout fasse croire à Bilal qu’elle est véritablement convertie. De plus, pour donner un peu de chaleur à cette ambiance glauque et difficile pour Anna, un de ses collègues, André, est également présent lors des discussions. Autre aspect qui est frappant, c’est de voir à quel point le discours est travaillé. En effet, lors d’une interview consacrée sur la radio Europe 1, Anna décrit avec froideur et stupeur comment son interlocuteur l’a testée et a, par la suite, orienté son discours en fonction de Mélanie. Un vrai commercial selon elle.

Dans la peau d'une djihadiste, enqête au coeur des filières de recrutement de l'Etat Islamique. Un livre d'Anna Erelle

Informations à la pelle sur le mode de recrutement pour le djihad

La méthode de recrutement semble être par les réseaux sociaux dans un premier temps. Cependant, on apprend rapidement dans l’ouvrage que le djihadiste veut ramener Mélanie en Syrie dès que possible et par tous les moyens possibles. Plus haut il était marqué les promesses, il y a également eu le mariage. Dès qu’il a pu, Bilal a appelé Mélanie « sa femme » et a tout fait pour qu’ils le soient le plus officiellement possible, allant même jusqu’à demander si elle est vierge. De plus, cet homme lui apprend que si elle pose un pied en Syrie, elle sera sa femme pour de bon, à lui. Afin de grossir le portrait de la Syrie idéale, il semblerait que ces combattants de Dieu soient la proie d’une gent féminine qui fantasmeraient sur eux. On apprend également des informations sur les lieux de passages pour le recrutement. En effet, pour aller en Syrie, ce n’est pas si simple et il faut utiliser des chemins détournés pour effectuer son djihad. On apprend notamment lors de son faux départ en Syrie que les chemins et les communications sont souvent difficiles et atteindre la Syrie représente déjà une expédition

La vie pour une religion

Outre cette accélération pour que Mélanie accomplisse sa croisade, les faits présentés par Anna montrent l’extrême intelligence et la hiérarchisation qui est opérée par l’Etat Islamique. Tout est bien calculé, si untel n’est pas assez fort alors il fera telle chose, sinon il en effectuera une autre. Les premiers jours de l’arrivée d’un nouveau frère combattant, il a des cours de langues et de maniement des armes. On apprend également à quel point la mutilation d’un corps est une source de fierté pour ces musulmans djihadistes en Syrie, ainsi que la haine qu’éprouvent les combattants de l’Etat Islamique envers l’Occident.

En conclusion, on peut dire que la force de l’état islamique tient de sa communication. Le prosélytisme est à la mode 2.0 et Anna l’a découvert, en profondeur, à ses dépens. Si l’on se doit de souligner le courage d’Anna, on se doit également de mettre en garde les personnes qui souhaiteraient se prendre pour des supers espions. Ce qu’elle a fait lui vaut une fatwa lancée contre elle :

Tuez-la, à condition que sa mort soit lente et douloureuse. Elle est plus impure qu’un chien. Violez-la, lapidez-la, achevez-la.

Ces mots horribles, affreux, montrent peut-être plus des hommes bafoués dans leur orgueil et leur honneur que dans leur religion vantant la paix, le pardon et l’amour. Comme quoi la liberté d’expression et de la presse n’existe pas forcément lorsqu’on parle de religion, même au XXIème siècle.

Dans la peau d’une djihadiste est donc un livre glaçant, poignant, mais férocement utile et intéressant. Il nous ramène les pieds sur Terre, nous montre les risques que prennent les journalistes et un avenir qui pourrait être le nôtre.

Dans la peau d’une djihadiste – Anna Erelle
Action courageuse de son auteur, on ne peut que saluer cette enquête journalistique. C'est profond, ça provoque quelques malaises, mais ça possède la qualité d'être assez bien rédigé. A lire sans attendre !
Style
Intérêts
Informations
On aime bien
  • Le récit
  • Les explications
  • Le courage
On aime moins
  • Un style perfectible
4.4La Note
Note des lecteurs: (3 Votes)