L’invention de nos vies – Karine Tuil

Critique du roman L’invention de nos vies, écrit par Karine Tuil. Un roman qui aborde les questions difficiles de l’identité et de la construction personnelle.

Avec le mensonge on peut aller très loin ; mais on ne peut pas en revenir.
Proverbe Yiddish.

L’histoire de L’invention de nos vies s’articule autour d’un trio français : Samuel, Samir et Nina. Samuel a été élevé dans le judaïsme orthodoxe qu’il a complétement rejeté à l’âge adulte suite à la révélation de son adoption. Samir est le fils d’immigrés tunisiens dont le père est décédé après une arrestation douteuse et la mère se tue au travail pour que ses enfants puissent réussir dans la vie. Vient enfin Nina, dont on ne sait que peu de choses hormis sa très grande beauté et le rejet de sa mère étant enfant. Après une rupture très violente, Samir disparaît de la vie de ses amis pendant 20 ans jusqu’au jour où ils le voient interviewer sur CNN. La curiosité (malsaine) pousse Samuel à se renseigner sur Samir : celui-ci a autant réussi que Samuel a échoué; alors qu’il habite un HLM de Clichy-sous-Bois, travaille en tant qu’éducateur social et n’est jamais parvenu à faire publier ses romans, le second dirige la filiale new-yorkaise d’un grand cabinet d’avocats, a épousé la fille d’un des politiciens les plus en vue et possède un penthouse sur la 5ème avenue. Mais lors de la lecture d’une interview de Samir, Samuel et Nina découvre qu’il s’est approprié une grande partie de la vie de Samuel, de sa religion à la mort de ses parents… Ils décident alors de reprendre contact afin de le confronter et essayer de prendre une revanche.

image couverture l'invention de nos vies

La (difficile) question de l’identité au travers des caractères des personnages

Les personnages masculins de L’invention de nos vies ont des caractères affirmés, définis : Samuel est aigri, revanchard, peu sûr de lui quand Samir est arrogant, frimeur et dominateur. Nina se détache : elle est manipulable, dominée, sans volonté précise. Si au premier abord on voit dans ce livre deux mâles (Alphas ?) s’opposer pour l’amour d’une femme on se trompe. Au delà de Nina, les deux hommes se battent pour la réussite qu’elle soit sociale, professionnelle, amoureuse… On pourrait penser que Samir a tout pour lui, il lui manque pourtant une donnée fondamentale : l’acceptation de soi. La première étape de l’effacement pour ce personnage est le changement de son nom : au départ afin de postuler pour un emploi, Samir finit par devenir Samuel au yeux de la loi. A partir de ce moment de L’invention de nos vies, il sait qu’il a franchi un cap et qu’il lui sera impossible de reculer. L‘auteure de L’invention de nos vies pose la question du mensonge, de l’invention d’une histoire, un passé pour pouvoir construire un présent et un futur. Samir crée peu à peu une sorte de monde parallèle qui grandit au fur et à mesure de l’accumulation de ses mensonges. S’il arrive à vivre (et prospérer) durant des années comme cela, l’irruption de son ancien amour vient mettre en avant sa fragilité : il est une imposture, bien caché derrière son arrogance, mais une imposture tout de même, que ce soit pour ses associés, sa femme, ses enfants… Même sa propre mère ne sait rien de cette vie qu’il a bâti sur des affabulations, le pensant bon musulman célibataire.

De la découverte à la chute.

Ce qui est le plus surprenant dans L’invention de nos vies, c’est bien sûr le cheminement que vont suivre chacun des personnages au moment de leurs retrouvailles. Chacun va, à sa manière, être libéré d’un poids : les remords, les regrets, le manque de confiance en soi… Ce qui paraît au départ comme un livre traitant d’un personnage principalement (Samir, après tout c’est lui qui « vole » une vie pour s’en construire une) devient un livre traitant de l’identité pour tous les personnages. On voit, dans L’invention de nos vies, comment un acte, d’apparence anodin et fait impulsivement peut changer toute une vie, dans le bon sens comme dans le mauvais.

Une remise en question pour le lecteur ?

Bien que d’une écriture fluide et d’un style prenant, il est difficile pour le lecteur de s’identifier aux personnages de L’invention de nos vies tant leurs actions sont rocambolesques. On entend de nos jours bien plus parler d’usurpation d’identité qu’auparavant (les lois se sont renforcées en la matière récemment) mais cela ne va jamais aussi loin. D’une manière générale, un usurpateur aura un domaine d’action limité et recherchera avant tout un profit financier, sachant qu’il doit changer de victime régulièrement. La question posée par L’invention de nos vies est donc plus importante : comment nous définissons-nous à la fois pour nous mais aussi pour les autres ? Pas de réponse à cette question qui doit amener à une introspection individuelle mais un livre fort, captivant et abouti.

N’hésitez pas à consulter d’autres articles sur L’invention de nos vies, chez Elle et RFI.

L'invention de nos vies - Karine Tuil
L'invention de nos vies est un roman étonnant, qui apporte une belle réflexion sur la question de l'identité.
Style
Personnages
Intrigue
On aime
  • Style fluide.
  • Histoire captivante.
  • Belle réflexion.
On aime moins
  • Parfois trop rocambolesque.
  • Personnages féminins effacés.
3.8Note Finale
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